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Franchise douanière : quelle notion pour un « instrument ou appareil scientifique » ?

Affaires - Transport
11/09/2024
Si le règlement n° 1186/2009 et son règlement d’exécution no 1225/2011 font bénéficier de la franchise douanière les « instruments et appareils scientifiques », c’est sans les définir. Ces notions sont toutefois encadrées précisément et restrictivement par la CJUE dans un arrêt du 5 septembre 2024.
L’institut scientifique de la sécurité des produits alimentaires, de la santé des animaux et de l’environnent de Lettonie (BIOR) a importé des étiquettes recouvertes de matière plastique ou constituées à partir d’une tige de polyéthylène, destinées à être attachées aux poissons vivants, afin d’observer leur migration et leur croissance dans le cadre de recherches scientifiques. Cet institut prétend qu’il s’agit d’« instruments ou des appareils scientifiques » importés exclusivement à des fins non commerciales, lui permettant de bénéficier de la franchise douanière de l’article 46, sous a), du règlement n° 1186/2009 du 16 novembre 2009, ce que conteste l’administration lettone.
 
Textes applicables à la notions d’« instrument ou appareil scientifique »
 
Selon l’article précité, « Aux fins de l’application des articles 44 et 45 : a) on entend par “instrument ou appareil scientifique” un instrument ou appareil qui, en raison de ses caractéristiques techniques objectives et des résultats qu’il permet d’obtenir, est exclusivement ou principalement apte à la réalisation d’activités scientifiques ; (…) ». Pris pour l’application de cet article 46, sous a), l’article 5 du règlement d’exécution no 1225/2011 du 28 novembre 2011, fixant les dispositions d’application notamment des articles 42 à 52 du règlement no 1186/2009, prévoit qu’« (…) on entend par “caractéristiques techniques objectives” d’un instrument ou appareil scientifique celles qui, résultant de la construction dudit instrument ou appareil ou des adaptations dont il a fait l’objet par rapport à un instrument ou appareil de type courant, lui permettent de réaliser des performances de haut niveau qui ne sont pas requises pour l’exécution de travaux d’exploitation industrielle ou commerciale » (al. 1) et que, « Lorsque, sur la base de ses caractéristiques techniques objectives, il n’est pas possible de déterminer sans ambiguïté si un instrument ou appareil doit être considéré comme un instrument ou un appareil scientifique, il est procédé à l’examen de l’usage auquel est destiné l’instrument ou appareil pour lequel est demandée l’importation en franchise. Si cet examen fait apparaître que cet instrument ou appareil est utilisé à la réalisation d’activités scientifiques, il est réputé avoir un caractère scientifique » (al. 2).
 
Question préjudicielle : trois notions
 
L’affaire étant portée devant la CJUE, celle-ci recherche donc si l’article 46, sous a), du règlement no 1186/2009 doit être interprété en ce sens que les marchandises en cause - des étiquettes recouvertes de matière plastique ou constituées à partir d’une tige de polyéthylène et qui, selon leur propre conception technique et leur fonctionnement, servent, en tant que telles, d’outil de recherche scientifique, en ce qu’elles sont attachées à des poissons vivants afin d’observer leur migration et leur croissancerelèvent de la notion d’« instruments » ou d’« appareils », qui peuvent être qualifiés de « scientifiques », au sens de cette disposition.
 
Défaut de définition d’« instrument » ou d’« appareil » dans les textes applicables aux franchises
 
Le règlement no 1186/2009 et son règlement d’exécution no 1225/2011 ne fournissent pas de définition des notions d’« instrument » ou d’« appareil » et ne renvoient pas non plus au droit national sur ce point : la détermination de la signification et de la portée de ces termes, selon une jurisprudence constante, doit donc être établie « conformément au sens habituel de ceux-ci dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie ».
 
Sens habituel dans le langage courant. – La notion d’« appareil », au sens habituel dans le langage courant, est comprise comme « un assemblage de pièces destinées à fonctionner ensemble ou un ensemble d’éléments techniques organisés en un ensemble plus abouti qu’un outil et qui possède une fonction ». Les étiquettes ne constituant pas un tel assemblage de pièces ni un tel ensemble d’éléments techniques, elles ne relèvent donc pas de cette notion.
 
La notion d’« instrument », toujours au sens habituel dans le langage courant, désigne « un outil ou un objet fabriqué permettant d’effectuer une opération ou un travail », ce qui en l’espèce est « suffisamment large » selon la CJUE pour couvrir les étiquettes en cause.
 
Contexte. – Sur ce point, la CJUE relève à propos de la notion d’« instrument » que l’article 44, § 1, du règlement no 1186/2009 exonère des droits à l’importation les « instruments scientifiques » qui sont importés exclusivement à des fins non commerciales et rappelle que, selon une jurisprudence constante en matière de TVA, également applicable en matière de droits de douane, les termes employés pour désigner les exonérations sont d’interprétation stricte, étant donné que ces exonérations constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque livraison de biens et prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti (CJUE, 19 juill. 2012, n° C‑250/11, Lietuvos geležinkeliai AB c/ Vilniaus teritorinė muitinė et a., point 35). Sur cet arrêt, voir n° 930-54). Par conséquent, pour la Cour, il a lieu d’écarter l’argument selon lequel la version anglaise de l’article 46, sous a) du règlement no 1186/2009 (qui vise tout/n’importe quel instrument) devrait corroborer une interprétation large de cet article alors que d’autres versions visent « un » instrument (pour mémoire, selon la jurisprudence constante, la formulation utilisée dans l’une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques : les dispositions du droit de l’Union doivent en effet être interprétées et appliquées de manière uniforme, à la lumière des versions établies dans toutes les langues de l’Union et en cas de disparités entre les diverses versions linguistiques d’un texte du droit de l’Union, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément).
 
Jurisprudence antérieure. – La CJUE s’appuie aussi sur ses précédentes décisions interprétant la notion d’« instrument scientifique » de l’article 3, § 1, du règlement no 1798/75 du 10 juillet 1975, relatif à l’importation en franchise des droits du tarif douanier commun des objets de caractère éducatif, scientifique ou culturel (qui a précédé le règlement n° 1186/2009) en ce sens qu’elle inclut du matériel servant non pas en tant qu’objet, mais en tant qu’outil de recherche scientifique, à savoir lorsque la recherche est effectuée au moyen de ce matériel, de sorte que le rôle dudit matériel dans le cadre du processus de recherche n’est pas purement passif » (CJCE, 10 nov. 1983, n° 300/82, Gesamthochschule Essen c/ Hauptsollamt Düsseldorf, point 15, et CJCE, 26 janv. 1984, n° 45/83, Ludwig-Maximilians-Universitat München c/ Hauptzollamt München-West, point 11). La CJUE en conclut que le terme « instrument », lorsqu’il doit être qualifié de « scientifique », peut s’entendre comme couvrant non seulement les outils et les objets fabriqués pour réaliser une activité spécifique, mais également du matériel qui, selon sa propre conception technique et son fonctionnement, a pour vocation à servir d’outil de recherche scientifique.
 
« Instrument scientifique » et règlement d’exécution n° 1225/2011
 
« Caractéristiques techniques objectives » de l’article 5 (al. 1). – Selon l’article 46, sous a), un « instrument ou appareil » peut être qualifié de « scientifique » lorsque, « en raison de ses caractéristiques techniques objectives et des résultats qu’il permet d’obtenir », il est « exclusivement ou principalement apte à la réalisation d’activités scientifiques ». S’agissant des « caractéristiques techniques objectives », au sens de cet article-ci, qui les rendent aptes à la réalisation d’activités scientifiques, l’article 5 (al. 1) du règlement d’exécution no 1225/2011, précise que les « caractéristiques techniques objectives » d’un instrument scientifique sont définies comme « celles qui, résultant de la construction dudit instrument [...] ou des adaptations dont il a fait l’objet par rapport à un instrument [...] de type courant, lui permettent de réaliser des performances de haut niveau qui ne sont pas requises pour l’exécution de travaux d’exploitation industrielle ou commerciale ». En l’espèce, si les étiquettes semblent aptes à être utilisées à des fins scientifiques, la CJUE constate en revanche qu’elles ne remplissent pas ces conditions-ci : au contraire en effet, elles trouvent aussi un usage approprié dans le cadre de l’aquaculture ou de la pêche sportive, à des fins industrielles ou commerciales. De plus, la Cour rappelle que cette exigence « implique de vérifier si l’instrument en cause est, au premier chef, apte aux activités scientifiques, à savoir à l’acquisition et à l’approfondissement de connaissances scientifiques, sans exclure la possibilité qu’il soit également, quoique de façon secondaire, approprié à d’autres buts, comme l’exploitation industrielle ou commerciale » (par analogie avec CJCE, 29 janv. 1985, n° 234/83, Gesamthochschule Duisburg c/ Hauptsollamt München-Mitte, point 27, et CJCE, 21 janv. 1987, n° 13/84, Control Data Belgium Inc. c/ Commission, point 16). Or, en l’espèce, rien ne permet de considérer que les étiquettes sont plus propres à la réalisation d’activités scientifiques qu’à d’autres fins, notamment industrielles ou commerciales.
 
Présomption de caractère scientifique de l’article 5 (al. 2). – L’article 5 (al. 2) du règlement d’exécution no 1225/2011 prévoit qu’un instrument utilisé aux fins d’activités scientifiques est « réputé » avoir un caractère scientifique. Toutefois selon la CJUE, cette présomption « s’applique uniquement lorsqu’il n’est pas possible de déterminer sans ambiguïté, sur la base de ses caractéristiques techniques objectives », si l’instrument doit être considéré comme un « instrument scientifique », ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
 
Remarques
La CJUE corrobore son constat/sa solution s’agissant de la notion d’« instrument scientifique » par la jurisprudence précitée, selon laquelle les termes employés pour désigner les exonérations des droits à l’importation sont d’interprétation stricte (CJUE, 19 juill. 2012, n° C‑250/11, Lietuvos geležinkeliai AB c/ Vilniaus teritorinė muitinė et a., point 35), et par l’article 1er du règlement no 1186/2009, lu à la lumière de ses considérants 2 et 3, en vertu duquel une franchise de droits à l’importation n’est justifiée que dans « certaines circonstances bien définies, lorsque les conditions particulières de l’importation des marchandises n’exigent pas l’application des mesures habituelles de protection de l’économie ».