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« Brèves douanières » au 23 juin 2024 : jurisprudences

Affaires - Transport
24/06/2024
Les décisions de justice « en bref » diffusées depuis le 11 juin 2024 et non traitées par ailleurs « dans ces colonnes ».
Aides au classement des marchandises : classiques et non classiques
 
Critère décisif et valeur des NESH et NENC. – À propos de « movie cubes », la Cour d’appel de Rouen rappelle que, selon la jurisprudence constante de la CJUE, « dans l'intérêt de la sécurité juridique et de la facilité des contrôles, le critère décisif pour la classification tarifaire des marchandises doit être recherché, d'une manière générale, dans leurs caractéristiques et leurs propriétés objectives, telles que définies par le libellé de la position de la nomenclature combinée et des notes de section ou de chapitre, éclairées par les notes explicatives élaborées, en ce qui concerne la nomenclature combinée, par la Commission européenne et, en ce qui concerne le système harmonisé, par l'Organisation mondiale des douanes, qui contribuent de façon importante à l'interprétation de la portée des différentes positions tarifaires sans avoir toutefois force obligatoire de droit » (CA Rouen, 6 juin 2024, nº 22/03922, Dexxon Groupe c/ Direction Régionale des Douanes et Droits Indirects du Havre).
Commission de Conciliation et d'Expertise Douanière (CCED). – Toujours selon les magistrats rouennais, devant cette commission-ci, un accord de la Douane pour classer les marchandises à la position la plus favorable à un opérateur « revêtant un caractère conjoncturel », un autre opérateur « ne peut utilement se prévaloir de la position de l'administration à l'occasion de précédents contrôles », étrangers aux importations litigieuses.
Règlement de classement et colonne « motivation ». – La même cour d’appel retient que, si règlement nº 295/2009 du 18 mars 2009 classe les appareils destinés à l'enregistrement et à la reproduction de sons et d'images sous la position 8521, il n'est pas applicable aux produits concernés en raison de la colonne « motivation » de l'annexe de ce règlement qui les exclut de son champ d’application.
Renseignement tarifaire contraignant (RTC). – Un tel renseignement ne crée de droits qu'au profit de son titulaire et à l'égard des seules marchandises qui y sont décrites. Un opérateur ne peut se prévaloir de RTC délivrés par la Douane à un autre opérateur qui « portent sur des produits similaires mais non identiques » (une formule des juges précités à interpréter a contrario). Sur ce point, le récent arrêt du 15 avril 2024 de la cour d’appel de Nancy adopte une formule différente qui permet à une opérateur de se prévaloir de RTC délivrés à un autre pour des « produits similaires » (voir « Brèves douanières » au 28 mai 2024 : jurisprudences, Actualités du droit, 29 mai 2024).
 
 
Visite domiciliaire douanière : rappels sur les recours contre l’ordonnance du JLD
 
Présentation erronée des faits par la Douane (non). – L’article 64 du Codes des douanes relatif à la visite domiciliaire n'exige que de simples présomptions de la commission de fraude et, selon la cour d’appel de Paris, un opérateur ne peut, « par l'effet escompté du montage juridique » dont il se prévaut ayant abouti à l'importation de l'aéronef en franchise de TVA, opération à laquelle il a donc participé en tant qu'acquéreur puis de crédit-preneur, s'exonérer des présomptions qui pèsent sur lui à ces titres, peu important qu'il ne soit plus propriétaire de l'aéronef (CA Paris, 12 juin 2024, nº 23/07791, Manjet Aviation Limited c/ Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED)). En avançant ce point, l’opérateur invoquait (en vain donc) une présentation erronée des faits par la Douane pour obtenir du juge des libertés et de la détention (JLD) une autorisation de visite.
Appréciation des éléments de droit et de fait. – Toujours selon l’article précité, le JLD motive sa décision d'autorisation par l'indication des éléments de fait et de droit qu'il retient et qui laissent présumer l'existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée ; il doit vérifier de manière concrète que la demande d'autorisation qui lui est soumise est bien fondée et cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession de la Douane de nature à justifier la visite. La cour d’appel précitée rappelle aussi qu'à ce stade de l'enquête douanière, en application de ce texte, « il n'y a pas lieu pour le juge des libertés et de la détention de déterminer si tous les éléments constitutifs des agissements recherchés étaient réunis mais, en l'espèce ce juge dans le cadre de ses attributions, ne devait rechercher que s'il existait des présomptions simples des agissements prohibés et recherchés » : cette cour retient, dans deux affaires liées, que « par une appréciation pertinente de l'ensemble des pièces qui lui ont été soumises dans la requête et des motifs propres et appropriés que cette juridiction fait siens », ce JLD a considéré que des présomptions de commission des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée pesaient sur l’opérateur (qu'il fut susceptible d'être auteur, complice ou intéressée à la fraude de l'infraction douanière de fausse déclaration en douane, prévue et réprimée par l’article 412-2 du Code des douanes) et elle examine lesdits éléments pour retenir qu’ils corroborent l'existence des présomptions retenues à son encontre (CA Paris, 12 juin 2024, nº 23/07791, Manjet Aviation Limited c/ Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) ; CA Paris, 12 juin 2024, nº 23/07795, Altice Group Lux et a. c/ Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED)).
 
 
Peine complémentaire du 4 de l’article 459 : inconstitutionnalité pour méconnaissance du principe d'individualisation des peines
 
La Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité concernant le 4 de l’article 459 du Code des douanes qui dispose que les personnes condamnées pour l'infraction prévue en son 1 (donc s'agissant des restrictions aux relations financières avec l'étranger) « sont, en outre, déclarées incapables d'exercer les fonctions d'agents de change, d'être électeurs ou élus aux chambres de commerce, tribunaux de commerce et conseils de prud'hommes, tant et aussi longtemps qu'elles n'auront pas été relevées de cette incapacité » (Cass. crim., QPC, 13 mars 2024, nº 23-90.027 ; voir « Restrictions des relations économiques : QPC pour l'article 459 du Code des douanes » dans « Brèves douanières » au 2 avril 2024, Actualités du droit, 3 avr. 2024). Pour le Conseil constitutionnel, ce 4 méconnait effectivement le principe d'individualisation des peines et doit donc être déclaré contraire à la Constitution : selon « les sages », il ressort des travaux préparatoires de la loi de finances n° 64-1161 du 24 décembre 1969, dont sont issues les dispositions contestées, qu'elles instituent une sanction ayant le caractère d'une punition ; il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle qu'elle ressort de l'arrêt de renvoi de la QPC, que la peine complémentaire d'incapacité prévue par ces dispositions « doit obligatoirement » être prononcée par le juge pénal en cas de condamnation ; enfin, si, en vertu du f de l’article 369 du code précité, le juge peut dispenser le coupable de cette peine complémentaire ou l'assortir du sursis, cette faculté ne saurait, à elle seule, permettre que soit assuré le respect des exigences qui découlent du principe précité, dès lors que le juge ne peut en moduler la durée pour tenir compte des circonstances propres à chaque espèce. La déclaration d’inconstitutionnalité intervient à compter de la date de publication de la décision et est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date (Cons. const., 12 juin 2024, n° 2024-1096 QPC, JO 13 juin).
 
Sur ce sujet, voir n° 1015-37 Restrictions des relations économiques prévues par l'UE (art. 459) dans Le Lamy Guide des procédures douanières.
 
Compétence du juge judiciaire : contestation de l’octroi de mer fondée sur l’illégalité de la délibération fixant son taux
 
Jugé, sur le fondement de la combinaison de l’article 357 bis du Code des douanes (les tribunaux judiciaires connaissent des contestations concernant le paiement, la garantie ou le remboursement des créances de toute nature recouvrées par la Douane et des autres affaires de douane n'entrant pas dans la compétence des juridictions répressives) et de l’article 42 de la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer (l'octroi de mer et l'octroi de mer régional sont perçus, contrôlés et recouvrés par la DGDDI, selon les règles, garanties, privilèges et sanctions prévus par le Code précité), qu'il appartient aux tribunaux judiciaires, lorsqu'ils sont saisis d'une contestation concernant le paiement de l'octroi de mer fondée sur une prétendue illégalité des délibérations en fixant le taux, ou en accordant une exonération, de se prononcer sur leur légalité : une cour d’appel ne peut donc pas se déclarer incompétente pour connaître de la validité des délibérations du conseil départemental de Mayotte en retenant que le juge judiciaire ne peut apprécier la légalité d'un acte administratif que dans l'hypothèse où une jurisprudence constante a établi auparavant l'illégalité de cet acte, que ce n’est pas le cas en l'espèce et en en déduisant que l'appréciation de la légalité des délibérations litigieuses est de la compétence de la juridiction administrative (Cass. com., 19 juin 2024, nº 22-21.925, B).
 
Sur ce sujet, voir n° 1015-82 Compétence matérielle des tribunaux dans Le Lamy Guide des procédures douanières.
 
Lieu de naissance de la dette douanière et compétence de la Douane française : fraude et importation sans déclaration
 
La Cour de cassation approuve une cour d’appel d’avoir retenu :
  • qu’un opérateur a eu recours à de fausses factures établies par des fournisseurs situés en France afin d'introduire dans sa comptabilité des marchandises n'ayant pas fait l'objet de déclarations en douane réalisant ainsi des importations sans déclaration, et, que, compte tenu de la généralisation de ces pratiques, il n'était pas possible de rattacher une facture de complaisance à une importation en particulier, de sorte que l'ensemble des déclarations d'importation de l’opérateur devaient être prises en compte ;
  • qu'à supposer que des importations aient eu lieu dans d'autres États membres que la France, l'infraction d'importations sans déclaration de marchandises prohibées a été établie par des éléments recueillis en France ;
  • et d’en déduire que l'infraction d'importations sans déclaration de marchandises prohibées a été commise sur le territoire national et donc que la Douane française était fondée à retenir que la dette douanière était née en France et à la recouvrer.
La Haute cour se fonde notamment d’une part sur l’article 215 de l’ex-CDC (qui prévoyait que la dette douanière prend naissance au lieu où se produisent les faits qui font naître cette dette et que, lorsqu'il n'est pas possible de déterminer ce lieu, la dette douanière est considérée comme née au lieu où la Douane constate que la marchandise se trouve dans une situation ayant fait naître une dette douanière) et d’autre part sur la jurisprudence de la CJUE (Cass. com., 19 juin 2024, nº 22-23.306, B). Avec le CDU, la solution serait la même, son article 87 notamment comportant des dispositions identiques.
 
Sur ce sujet, voir n° 1385 Textes et définitions applicables à la dette douanière dans Le Lamy transport, tome 2.
 
Certificat d’importation délivré par FranceAgriMer : contrôle et remise en cause par la Douane
 
En présence d'un certificat d’importation pour les produits agricoles délivré par FranceAgriMer ouvrant droit, pour son titulaire, à l'application de droits à l'importation réduits, la Douane peut « remettre en cause cette taxation à taux réduit au motif que la délivrance du certificat n'aurait, selon elle, pas été justifiée en l'espèce ». C’est ce que retient la Cour de cassation qui se fonde pour accorder cette faculté à l’administration notamment sur le § 1 de l'article 13 de l’ex-Code des douanes communautaire alors applicable lui permettant d’effectuer « tous les contrôles » qu'elle juge « nécessaires pour garantir l'application correcte de la réglementation douanière et des autres dispositions législatives régissant l'entrée, la sortie, le transit, le transfert et la destination particulière des marchandises circulant entre le territoire douanier de la Communauté et les pays tiers » (les articles 5 et 46 du CDU comportant des dispositions semblables, la solution serait la même sous l’empire de ce code-ci), et sur le 1 de l’article 323 du Code des douanes national (« Les infractions aux lois et règlements douaniers peuvent être constatées par un agent des douanes ou de toute autre administration ») (Cass. com., 19 juin 2024, nº 21-19.741, B).