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Avis de résultat d’enquête et réponse de la Douane à la contestation de l’opérateur : quel contenu s’agissant des fondements légaux pour le respect des droits de la défense ?

Affaires - Transport
29/05/2024
Lorsque la Douane n’a pas communiqué dans son avis de résultat d’enquête « l'intégralité des fondements légaux » du redressement d’un importateur parce que, dans sa réponse à la contestation par cet opérateur dudit avis, elle précise son raisonnement en ajoutant un nouveau fondement légal – qui constitue une exception à ceux précités – sans lui proposer d’y répondre, la procédure n'est pas régulière et le procès-verbal de redressement de cette administration doit être annulé pour violation du principe du respect des droits de la défense, selon un jugement du tribunal judiciaire de Lille du 7 mai 2024.
À propos de la valeur en douane des marchandises qu’il importe, un opérateur fait l’objet d’un contrôle sur pièce de la Douane qui aboutit à un avis de résultat d’enquête du 2 novembre 2020 rappelant notamment l’article 70 du CDU relatif à la valeur qu’il cite (mais pas son article 71). Dans sa lettre du 3 décembre 2020 en réponse à l’avis de résultat d’enquête, l’importateur conteste au fond la décision de 1’administration. Celle-ci écarte ses arguments dans un courrier du 18 février 2021 en précisant dans un paragraphe dédié à la « réglementation applicable » qu’elle vise l’article 71 du CDU (qui contient une exception) et qu’elle se fonde sur un commentaire du Comité technique de l'évaluation en douane (CTED) de l’OMD et un commentaire du Comité du code des douanes, section valeur en douane.
 
Pour le tribunal judiciaire de Lille, si le courrier de la Douane a certes « répondu de façon précise, circonstanciée et ordonnée aux arguments qui lui ont été soumis », en revanche elle y a « appuyé son raisonnement » sur l’article 71 précité qu’elle n’a pas spécifiquement visé dans son avis de résultat d'enquête. De plus, précise le juge, même si l'avis de résultat d’enquête vise « de manière très générale, sans même le citer expressément, ledit article [71] parmi de nombreux autres, dans la formule générale (…) "les faits constatés sont susceptibles de générer une dette douanière en application des articles 70 à 100 du CDU" », cela ne peut pas conduire à considérer que la Douane s’est fondée « spécifiquement » sur ce texte, « alors que ces articles comprennent des dispositions complexes renvoyant chacun à certains aspects de la détermination de la valeur en douane » : une telle référence étant « vague », elle ne peut donc pas être envisagée « comme l'exposé de la base légale » de l'administration.
 
Par conséquent, la procédure de redressement n’est pas régulière et le procès-verbal qui a suivi doit être annulé pour violation du principe du respect des droits de la défense (voir ci-dessous) selon le juge : « Il s'agit bien d'un nouveau fondement légal auquel la société n'a pas été mise en mesure de répondre, puisque contrairement au courrier d'avis de résultat d'enquête, l'administration conclut qu'elle maintient sa position sans proposer au contribuable d'y répondre et que le 23 mars 2021 un procès-verbal de constat qui vise notamment la réponse de l'administration du 18 février 2021, était dressé et l'avis de paiement établi le même jour. Ainsi, l'administration douanière n'avait pas communiqué, au moment de la phase contradictoire de la procédure, l'intégralité des fondements légaux du redressement à la société. »
 
Remarques
Pour appuyer son raisonnement, le tribunal judiciaire se réfère expressément aux principes déjà dégagés par la jurisprudence antérieure et notamment :
Cass. com., 12 mai 2021, n° 19-11.522 : pour mémoire, cette décision rappelle déjà qu’il résulte du principe du respect des droits de la défense, qui trouve à s'appliquer dès lors que l'administration se propose de prendre à l'encontre d'une personne un acte qui lui fait grief, que les destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue quant aux éléments sur lesquels l'administration entend fonder sa décision et que l'effectivité des droits de la défense du redevable implique de faire connaître à celui-ci, préalablement à la notification du redressement, la décision envisagée, les motifs de celle-ci, ainsi que la référence des documents et informations sur lesquels elle s'est fondée (voir Préalable à l’AMR douanier : encore le respect des droits de la défense, Actualités du droit, 27 mai 2021) ;
Cass. com., 10 févr. 2021, n° 18-24.433 : cet arrêt retient notamment que la Douane doit communiquer durant la phase contradictoire l'intégralité des fondements légaux du redressement ;
CA Rennes, 21 nov. 2023, no 21/02323, Sofrilog c/ Directeur régional des douanes et droits indirects de Bretagne et a. : selon cette décision, le droit d'être mis en mesure de faire connaître son point de vue dans un délai suffisant et en connaissance de cause est une prescription de Convention européenne des droits de l’Homme, notamment son article 6, § 3, et le droit de faire connaître son point de vue implique l'obligation pour l'administration de prendre en considération les observations qui lui sont soumises, faute de quoi ce droit ne pourrait s'exercer d'une manière concrète et effective (voir DEE/contradictoire préalable à la prise de décision depuis 2017 : information par la Douane quant à LA possibilité de demander la « communication écrite » dans « Brèves douanières » au 3 décembre 2023 : textes, informations et jurisprudences, Actualités du droit, 4 déc. 2023).